La pauvreté pour les personnes handicapées : Un enjeu de droits de la personne

Yvonne Peters et Debra Parkes*
4 novembre 2014

Introduction

Au cours des dernières années, les personnes handicapées ont modestement mais sûrement progressé vers l’enchâssement de leurs droits dans la législation sur les droits de la personne et dans la Charte canadienne des droits et libertés.[1] Comme nous le prouverons dans ce document, les plus grandes réalisations sont principalement survenues dans les domaines de l’accessibilité et de l’obligation d’accommoder dans l’emploi comme dans les services. Il est certain qu’accéder à l’emploi et aux services sont de cruciaux facteurs de bien-être et d’égalité pour les personnes en situation de handicap. Mais de telles avancées n’ont que peu contribué à l’élimination de l’écrasante pauvreté qui envahit le quotidien de nombreuses d’entre elles. Nous allons soutenir, dans ce document, que la pauvreté vécue par les personnes handicapées est bien plus qu’une question de politique sociale. Pour que s’exerce une réelle égalité et la reconnaissance des droits de la personne, les obstacles économiques doivent être jugés aussi pernicieux que les obstacles à l’accès.

Pour commencer, nous présenterons certains gains importants obtenus par les personnes handicapées en vertu des lois sur les droits de la personne et des droits à l’égalité. Nous examinerons ensuite comment les personnes handicapées pourraient se prévaloir de tels gains pour commencer à s’attaquer aux effets discriminatoires des obstacles économiques. Il faut reconnaître que la relation entre le handicap et la pauvreté est compliquée. Elle englobe plusieurs facteurs et exigera sans doute une analyse axée sur les droits de la personne beaucoup plus complexe qu’une demande relativement simple d’accès à un édifice public. Une telle analyse est d’ailleurs compromise par la réticence des tribunaux à reconnaître la pauvreté comme un enjeu des droits de la personne.[2] Nous avons néanmoins convenu avec notre collègue Michael Prince que la Convention relative aux droits des personnes handicapées, récemment ratifiée, « nous donne une nouvelle vision pour comprendre la déficience, s’attaquer à la pauvreté et faire avancer la pleine citoyenneté.[3] » La CDPH devient un excellent guide d’interprétation dans l’application des lois canadiennes pour les droits de la personne.[4] Elle traduit un nouvel engagement intentionnel de la part de tous les paliers gouvernementaux pour que soient prises des mesures dynamiques visant à éliminer les inégalités et à inclure pleinement les personnes atteintes de déficiences.[5] La revendication enracinée dans l’égalité constitutionnelle et dans les textes législatifs de droits de la personne peut s’inscrire dans une plus vaste stratégie visant à rendre les gouvernements responsables d’honorer leurs obligations.

1ère partie : Réalisations dans le domaine des droits de la personne

Au cours des quatre dernières décennies, les lois sur les droits de la personne ont été adoptées dans les domaines constitutionnel et législatif pour prévenir et corriger la discrimination exercée à l’égard des personnes handicapées. Même avant 1985, date de l’enchâssement officiel des droits à l’égalité dans l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés[6], les personnes handicapées s’étaient mobilisées pour obtenir la reconnaissance légale de leurs droits et la protection contre toute discrimination exercée dans divers contextes. En fait, la protection contre la discrimination pour motif de déficience n’a été enchâssée dans l’article 15 sur les droits à l’égalité, de la Charte, qu’après un intense lobbying des personnes en situation de handicap.[7] Tel que brièvement discuté plus loin, la trajectoire juridique des droits à l’égalité des personnes handicapées a suscité des développements dans les lois constitutionnelles et les textes législatifs sur les droits de la personne. Ces efforts ont été soutenus par l’injection d’obligations relevant du droit international incluant, plus récemment, la signature et la ratification de la CDPH.

Over the past four decades, human rights law has developed in both the constitutional and statutory contexts to prevent and remedy discrimination experienced by people with disabilities. Even before 1985 when equality rights were constitutionally entrenched in section 15 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms,[6] people with disabilities had mobilized to seek legal recognition of their rights and protection from discrimination in a range of contexts. In fact, protection from discrimination on the basis of disability was only included in the section 15 equality guarantee of the Charter after intense lobbying efforts by people with disabilities.[7] As briefly discussed below, the legal trajectory of equality rights for people with disabilities has included developments in statutory human rights law and constitutional law, efforts which have been bolstered through the infusion of obligations under international law, including most recently the signing and ratification of the CRPD.

1. Définition des droits à l’égalité

Jusqu’aux années 1970 et au début des années 1980, le Canada n’avait aucune loi protégeant les personnes handicapées de toute discrimination ni aucune loi pour appliquer leurs droits à l’égalité. Cette situation a changé lorsque le Canada et ses homologues provinciaux et territoriaux ont adopté des lois sur les droits de la personne. Au fil du temps, ces lois canadiennes ont fini par reconnaître les graves conséquences des obstacles discriminatoires sur la vie des personnes avec des déficiences.

Les revendications des personnes handicapées pour la reconnaissance de leurs droits ont été fondamentalement articulées autour d’un changement de discours et de loi, à savoir d’un modèle biomédical de la déficience à un modèle social. Au lieu de réduire la déficience à une invalidité, à un problème médical personnel, le modèle social implique que la société est remplie d’obstacles structurels qui privent les personnes handicapées du droit à une pleine participation.[8] Par leurs revendications/interventions, les personnes handicapées ont réclamé, non pas la charité, mais l’élimination de ces obstacles afin d’être en mesure d’affronter une société discriminatoire. Ce fut un virage capital[9] qui coïncida avec la promotion et l’adoption par les cours de justice canadiennes, du concept « d’égalité réelle. »[10] En quelques mots, l’égalité réelle (au lieu de formelle) part du principe qu’un même traitement n’engendre pas nécessairement l’égalité, dans un sens concret et significatif. Au contraire, l’égalité réelle « établit que malgré leur neutralité apparente, les normes, règlements et lois sont souvent construites pour un groupe dominant afin de reconnaître et maintenir ses privilèges. »[11] Ce principe est étroitement lié à l’obligation d’accommodement, qui s’est développée dans la jurisprudence sur les droits de la personne et dont nous discuterons plus loin.

Pendant plus de trois décennies, les personnes handicapées ont réalisé et célébré d’importantes victoires juridiques confirmant le caractère voire illicite de l’exclusion, ou du traitement négatif, pour motif de déficience. Voici quelques exemples d’avancées effectuées par les personnes handicapées dans les cours de justice.

1.1 Les cinémas : un même traitement peut s’avérer discriminatoire

Au début des années 1980, le propriétaire d’une salle de cinéma de la Saskatchewan a été reconnu coupable de discrimination pour motif de déficience parce que la disposition des sièges de la salle de cinéma ne pouvait accommoder Michael Huck, un usager de fauteuil roulant.[12] Le propriétaire a soutenu qu’il n’avait pas l’intention d’exercer une distinction illicite à l’égard de M. Huck et que tous ses clients étaient traités de la même manière. Mais son argument fut rejeté par la Cour d’appel de la Saskatchewan[13] qui déclara qu’un traitement uniforme pouvait avoir des incidences négatives pour les personnes en situation de handicap.[14] La cause Huck fut l’une des premières à reconnaître les effets discriminatoires d’une égalité de traitement.

1.2 Soins de santé : les services gouvernementaux doivent être inclusifs

L’analyse de la discrimination, telle qu’appliquée dans le cas Huck, a également été déterminante dans la décision Eldridge,[15] relevant des dispositions de la Charte. Dans ce cas-ci, des patients atteints de surdité ont été privés d’interprétation gestuelle alors qu’ils réclamaient des soins de santé. La Cour suprême du Canada (CSC) a clairement statué que lorsqu’un gouvernement offre un service, comme les soins de santé, il doit s’assurer que ce service puisse profiter à tous les bénéficiaires, y compris les personnes handicapées.[16]

1.3 Voyages en train—Obligation positive de s’assurer que les normes des installations soient inclusives

Dans l’affaire VIA Rail, les wagons nouvellement achetés n’étaient pas accessibles aux personnes handicapées.[17] La CSC a confirmé que l’approche utilisée pour identifier la discrimination en milieu de travail s’appliquait également aux obstacles physiques présents dans les systèmes de transports.[18] La Cour a rejeté le concept d’installations de transport distinctes pour les personnes handicapées et a déclaré « les personnes avec des déficiences ont le droit de voyager avec les autres passagers et non d’être confinées dans des installations distinctes. »[19] Et elle a ajouté que l’obligation d’accommoder les personnes handicapées implique l’obligation positive d’éliminer les obstacles et d’établir des normes inclusives.[20]

1.4 Sites Web du gouvernement : les communications avec le gouvernement doivent être accessibles et inclusives.

The Eldridge and Via Rail cases were pivotal influences in the Jodhan case decided by the Federal Court of Appeal.[21] Donna Jodhan sought a declaration that the federal government's failure to develop, maintain, and enforce standards that would ensure all Government of Canada websites and online services are accessible for all individuals with visual impairments contravened the Charter guarantee of equality. The Court ruled that access to federal government information by way of the internet constituted a benefit of the law.[22] Thus the Court said that "the visually impaired are entitled to full access to government information and services which clearly includes online access."[23]

1.5 Éducation : Rejet de l’analyse comparative basée sur la déficience et définition d’un service, tel qu’appliqué aux personnes handicapées.

La plus récente cause de la CSC portant sur les droits à l’égalité est celle de Jeffrey Moore.[24] C’est un arrêt-clé concernant l’analyse appropriée à appliquer afin d’identifier la discrimination pour motif de déficience et de définir les services tels qu’appliqués aux personnes handicapées. Pour expliquer l’importance de cette décision, cette cause sera plus longuement décrite que les causes préalables.

Dans une plainte au Tribunal des droits de la personne de la Colombie britannique, les parents de Jeffrey Moore ont soutenu que le gouvernement provincial et le district scolaire de Vancouver avaient exercé de la discrimination à l’égard de leur fils en le privant des services requis pour réussir en tant qu’élève avec des troubles d’apprentissage.[25] En d’autres mots, les parents ont allégué qu’en n’accommodant pas ses besoins spéciaux d’apprentissage, l’école n’a pas permis à Jeffrey de bénéficier de l’enseignement public.

À plusieurs reprises, les défendeurs ont soutenu que les services requis par Jeffrey étaient des services d’éducation spécialisée et non des services généraux fournis aux élèves. Ils ont de plus argué qu’en comparaison avec d’autres élèves handicapés, Jeffrey était mieux loti et que par conséquent la discrimination ne pouvait être prouvée.

Ces arguments traduisent la décision de la Cour suprême dans la cause Auton,[26] relevant des dispositions de la Charte. Dans l’affaire Auton, la Cour a décrété que pour prouver qu’un traitement était discriminatoire, l’appelant(e) devait comparer sa situation à celle de personnes ayant une situation analogue.[27] Dans la cause Moore, les défendeurs ont soutenu que cela revenait à comparer des étudiants ayant des troubles d’apprentissage à d’autres étudiants handicapés au lieu de les comparer à des étudiants en général.

Le Conseil des Canadiens avec déficiences est intervenu dans la cause Moore et s’est vigoureusement opposé à ce type d’analyse comparative.[28] Le CCD a fait valoir que puisque la plupart des personnes handicapées subissaient d’importants désavantages et inégalités sociétales, toute comparaison entre deux groupes de personnes handicapées risquait de niveler par le bas l’obligation d’accommoder et de perpétuer ainsi l’inégalité et l’exclusion de la société en général.[29]

La CSC a catégoriquement rejeté l’analyse par groupes de comparaison. Elle a convenu avec le CCD et a déclaré qu’exiger que Jeffrey se compare à d’autres élèves handicapés « risquait de perpétuer exactement le désavantage ainsi que l’exclusion de la société ordinaire que le Code (des droits de la personne) est censé corriger.[30] » En ce qui a trait à la définition d’un service, la CSC a déclaré que l’éducation spécialisée est un moyen par lequel des élèves comme Jeffrey peuvent accéder concrètement aux services d’éducation générale destinés à tous les élèves.[31] » En d’autres mots, l’aide spécialisée requise par les élèves ayant des troubles d’apprentissage n’est pas plus différente qu’une rampe pour les usagers de fauteuil roulant.[32] C’est une forme d’accommodement et non un programme distinct de l’enseignement en général.

1.6 L’obligation d’accommoder prend son envol

Toutes les causes décrites plus avant avaient toutes un pôle important commun. Elles reconnaissaient que dans plusieurs cas, l’élimination des obstacles et la jouissance de l’égalité exigeaient d’autres mesures dynamiques. Au titre des lois sur les droits de la personne, ce concept est compris comme l’obligation d’accommoder. Même s’il existait depuis quelque temps en droits de la personne, ce sont les causes Meiorin et Grismer qui lui confèrent sens et substance comme composante cruciale de l’égalité.

La cause Meiorin

En 1999, la décision de la Cour suprême du Canada dans la plainte déposée par la future pompière forestière Meiorin fut un point tournant important dans la jurisprudence sur les droits de la personne.[33] La CSC devait examiner plusieurs questions fondamentales, notamment le sens de l’obligation d’accommoder. Selon l’affaire Meiorin, portant sur la contestation d’un test aérobique d’évaluation de la condition physique qui défavorisait les femmes candidates, tout employeur s’appuyant sur des normes discriminatoires en milieu de travail doit prouver qu’il ne lui est pas possible, sous réserve de contrainte excessive, d’accommoder des groupes ou des particuliers négativement touchés par la norme discriminatoire et ce, afin d’éviter toute responsabilité au titre des lois sur les droits de la personne. La Cour a déclaré « En adoptant des lois sur les droits de la personne et en prévoyant leur application au milieu de travail, les législatures ont décidé que les normes régissant l’exécution du travail devraient tenir compte de tous les membres de la société, dans la mesure où il est raisonnablement possible de le faire. »[34] Et elle a jouté « La norme qui fait inutilement abstraction des différences entre les personnes va à l’encontre des interdictions contenues dans les diverses lois sur les droits de la personne et doit être remplacée. »[35]

L’affaire Meiorin a placé l’obligation d’accommoder au centre de l’analyse axée sur les droits de la personne. Avant elle, si une norme était qualifiée de neutre en apparence, sa légitimité n’était pratiquement jamais remise en question. On se concentrait davantage sur l’accommodement de la personne, sans toucher à la norme existante.[36] En critiquant cette approche vis-à-vis de l’accommodement, la Cour a déclaré « La difficulté que pose ce paradigme est qu’il ne met en question ni l’inégalité du rapport de force ni les discours de domination, comme le racisme, la prétention de la supériorité des personnes non handicapées, le sexisme, qui font qu’une société est bien conçue pour certains mais pas pour d’autres. »[37]

Suite à la cause Meiorin, un virage s’est amorcé, de l’adaptation imposée aux personnes on passait à l’imposition d’adaptation en milieu de travail, pour tous les employés, quels qu’ils soient. En d’autres mots, c’est à partir de la norme en question que sont évaluées toutes les plaintes de discrimination et pas seulement la personne.

La cause Grismer

La cause Grismer a pratiquement été jugée dans la foulée de l’affaire Meiorin.[38] La Cour a appliqué l’analyse Meiorin dans ce cas visant un fournisseur de services dans un contexte de déficience. En litige, une politique globale appliquée à toutes les personnes désirant obtenir un permis de conduire. À cause d’un problème de vision, M. Grismer ne répondait pas aux normes fixées par la politique. Il demanda donc une évaluation individuelle qui lui fut refusée.

La CSC a jugé discriminatoire l’application universelle de la politique globale.[39] Elle a déclaré « ceux qui fournissent des services doivent adopter des normes qui tiennent compte de la situation des personnes handicapées. »[40] De tels accommodements peuvent inclure une évaluation individuelle. Bien que la correction soit personnelle, les répercussions sont systémiques. Il incombait au défendeur de démontrer que le défaut d’assurer une évaluation individuelle était raisonnablement nécessaire pour répondre à l’objectif de sécurité routière. Il a été prouvé que le concept d’évaluation individuelle n’a pas été considéré.[41]

L’analyse adoptée dans l’affaire Grismer est la même que celle de la cause Meiorin. L’accommodement sous réserve de contrainte excessive guide désormais les employeurs et les fournisseurs de services. La cause Grismer illustre le fait que les politiques discriminatoires appliquées de manière inflexible et catégorique s’avèreront souvent inacceptables en vertu des lois sur les droits de la personne.

Impact des causes Meiorin et Grismer

Ces causes marquent un profond changement dans les responsabilités assumées par les défendeurs (gouvernements, employeurs et fournisseurs de services) en vertu de la législation. L’obligation d’accommodement a été grandement élargie pour inclure deux critères fondamentaux. Tout d’abord, une évaluation rigoureuse des normes discriminatoires afin de déterminer si elles peuvent être modifiées pour devenir plus inclusives et respecter le principe d’égalité réelle. Deuxièmement, en cas d’impossibilité, que la norme puisse être légalement justifiée par la survenance d’une contrainte excessive découlant des alternatives ; d’autre part, d’importants efforts d’accommodements devront alors être entrepris. Cette approche novatrice et améliorée permet aux personnes handicapées de croire avec optimisme que les cours de justice et les tribunaux envisageront sérieusement d’appliquer une démarche plus inclusive et une analyse plus systémique aux normes et pratiques sociales.

Comme l’explique Diane Pothier, une démarche systémique vis-à-vis de l’accommodement défie les normes conçues pour les personnes non handicapées en abordant la diversité dès le départ. L’adaptation systémique est fondée sur une « pensée inclusive ». Elle déclare « Une telle approche donne à l’obligation d’accommoder la possibilité d’être un véritable agent de transformation en contestant les normes pour personnes non handicapées au lieu de se limiter à de petits changements ponctuels. »[42]

1.7 Tenir les promesses de l’égalité réelle

Au début des années 1980, les défenseurs des droits des personnes handicapées se sont joints à d’autres groupes en quête d’égalité pour réclamer une garantie constitutionnelle de l’égalité, tout aussi significative que transformatrice.[43] Bruce Porter a documenté cette vision de l’égalité avancée par ces défenseurs – et en fin de compte enchâssée dans l’article 15[44] qui inclut le même bénéfice de la loi –; elle intégrait des obligations positives pour le gouvernement, notamment quant au redressement des inégalités économiques.[45] Il écrit « Les personnes en quête d’égalité ont articulé ce nouveau droit à l’égalité comme un droit social, une garantie stipulant que l’action et l’inaction gouvernementales seront évaluées pour leur compatibilité aux valeurs constitutionnelles de participation et de justice économique. »[46]

De la même façon, lorsque la garantie d’égalité de la Charte est entrée en vigueur, les défenseurs des droits des personnes handicapées ont travaillé avec des groupes de justice sociale et d’autres en quête d’égalité afin de se prévaloir d’une riche et significative interprétation de l’égalité dans leurs interventions auprès des cours de justice. Dans la cause Andrews, la première à atteindre la Cour suprême du Canada, et portant sur la discrimination pour motif de citoyenneté, ces efforts ont été fructueux. La Cour a rejeté une étroite interprétation de l’égalité formelle et a ainsi décrit l’objet de l’article 15 « il a pour objet de garantir l'égalité dans la formulation et l'application de la loi. Favoriser l'égalité c’est favoriser l'existence d'une société où tous ont la certitude que la loi les reconnaît comme des êtres humains qui méritent le même respect, la même déférence et la même considération. Il comporte un aspect réparateur important. »[47]

Malheureusement, depuis la cause Andrews, la voie des litiges pour motifs d’égalité a été jonchée de causes dans lesquelles l’engagement explicite envers l’égalité réelle n’était pas assorti de demandes significatives pour des mesures gouvernementales aptes à concrétiser l’égalité économique et sociale. Les causes portant sur programmes de prestations sociales ont été particulièrement imperméables à l’analyse axée sur l’égalité.[48]

Mais d’importants gains ont toutefois été engrangés en matière de litiges pour motifs d’égalité. C’est sans aucun doute la cause Eldridge[49] qui a offer la plus grande capacité d’interprétation pour l’égalité. Nous avons discuté plus avant de ce cas où le gouvernement de la Colombie britannique a été forcé de fournir un service de langage gestuel à des patients Sourds sollicitant un traitement médical. En cernant la discrimination pour motif de déficience, la CSC a rejeté, à l’unanimité, comme une « « vision étroite et peu généreuse de l’article 15(1), l’argument du gouvernement selon lequel la garantie d’égalité « n’oblige pas les gouvernements à mettre en œuvre des programmes destinés à atténuer les désavantages qui existent indépendamment des actions de l’État. »[50] Dans la cause Vriend,[51] la Cour suprême a affirmé que les droits à l’égalité peuvent être enfreints par l’inaction ainsi que par l’action du gouvernement. Dans cette affaire, le refus du gouvernement de l’Alberta d’inclure l’orientation sexuelle comme motif de distinction illicite dans la loi sur les droits de la personne, constituait une violation des droits à l’égalité des gais et lesbiennes. Les causes Eldridge, Vriend et une poignée d’autres[52] ont prouvé qu’une réelle et profonde interprétation du droit à l’égalité de la Charte était possible. Comme nous en discuterons plus loin au paragraphe 2.3, la ratification canadienne de la Convention relative aux droits des personnes handicapées impulse une interprétation de l’article 15, imposant au gouvernement l’obligation d’assurer l’égalité véritable des personnes handicapées (et d’autres) vivant dans la pauvreté.

2ème partie : Lien entre les droits de la personne et la pauvreté liée à la déficience

2.1 Les faits

Cette section donne une vue d’ensemble des récentes recherches économiques et démographiques établissant le lien entre la pauvreté et le handicap au Canada. Nous avons adopté le modèle social de la déficience ainsi que la définition de la pauvreté énoncée par la Loi québécoise visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale,[53] à savoir : « on entend par «pauvreté» la condition dans laquelle se trouve un être humain qui est privé des ressources, des moyens, des choix et du pouvoir nécessaires pour acquérir et maintenir son autonomie économique ou pour favoriser son intégration et sa participation à la société.»

La majorité des plaintes reçues par de nombreuses commissions de droits de la personne sont basées sur la déficience.[54] Cela a engendré une plus grande compréhension de l’accessibilité et de l’accommodement. Malheureusement, malgré des lois canadiennes plus complètes en matière de droits de la personne et la garantie constitutionnelle de l’égalité, les perspectives pour les Canadiennes et des Canadiens handicapés demeurent sombres. Comme l’explique :

  • L’incidence de la pauvreté est deux fois plus élevée chez les personnes handicapées d’âge actif que chez les autres Canadiens vivant en deçà du seuil de pauvreté.[55]
  • Les personnes handicapées d’âge actif auront moins tendance que leurs concitoyens non handicapés à avoir un diplôme officiel d’études secondaires. Ils auront aussi moins tendance à avoir un diplôme ou un certificat universitaire.[56] En général, l’incidence du faible revenu sera deux fois plus élevée chez les personnes handicapées et ce, quel que soit leur niveau d’études.[57]
  • Les personnes handicapées sont constamment moins employées que leurs concitoyens non handicapés. En 2006, 51,3% des personnes handicapées d’âge actif avaient un emploi, comparativement à 75,1% des personnes non handicapées.[58]
  • Et même pour les personnes handicapées ayant un emploi, le revenu aura tendance à être beaucoup plus faible que celui des personnes non handicapées (11% c. 7,3%).[59]
  • À cause de leurs limitations fonctionnelles, les personnes handicapées à faible revenu auront plus tendance que leurs concitoyens ayant des revenus supérieurs, à avoir besoin d’aide dans les activités quotidiennes Seules 18,5% des personnes handicapées vivant dans des foyers à faible revenu ont indiqué recevoir toute l’aide requise dans leurs activités quotidiennes.[60]
  • L’aide sociale est la plus grande source de revenu des personnes handicapées pauvres et d’âge actif.[61] Pour les personnes pauvres non handicapées, c’est le revenu du marché – principalement tiré de l’emploi – qui est la plus grande source de revenu.[62]

Jusqu’à présent, les cours de justice canadiennes ont eu tendance à déclarer que la pauvreté n’était pas un enjeu de droits de la personne.[63] Même si elles continuent à émettre ce message sur la pauvreté en général, les cours pourraient envisager d’examiner des situations ou questions particulières dégageant un lien très net entre les désavantages économiques et sociaux et la discrimination pour motif de déficience. Suivent, ci-après, quelques premières réflexions sur l’utilisation que l’on pourrait faire des lois de droits de la personne pour inciter les cours et les gouvernements à s’attaquer aux obstacles systémiques perpétuant l’inégalité et la pauvreté liée au handicap.

2.2 Contexte

Nous possédons énormément de données sur l’incidence de la pauvreté chez les personnes handicapées. Nous en avons moins en revanche sur les causes de sa persistance. Nous constatons, après un bref examen pancanadien, que divers programmes et prestations ont été mis en vigueur pour atténuer la causticité de la pauvreté chez les personnes handicapées. Mais, comme l’observe le CCD, « Le Canada n'a pas instauré de mesures coordonnées pour régler le problème de la pauvreté des personnes handicapées. Il existe au contraire un ensemble disparate de programmes locaux/provinciaux/territoriaux et fédéraux qui se chevauchent, se recouvrent les uns les autres et n'arrivent pas à assurer un revenu adéquat ni les soutiens fondamentaux requis pour éliminer les obstacles liés au handicap » [64]

Les causes de la pauvreté pour motif de déficience sont complexes et compliquées. Il est donc difficile d’en accuser un seul coupable. Il est toutefois important de constater que les lois et actions gouvernementales (ou dans plusieurs cas l’inaction) peuvent exacerber ou omettre de corriger la pauvreté vécue d’une manière ou d’autre autre par les personnes en situation de handicap. Dans certains cas, la loi ne tient pas compte des besoins ou situations particulières de ces personnes. Dans d’autre, les lois visent spécifiquement les personnes handicapées ou un groupe de personnes handicapées mais elles comportent plusieurs degrés d’insuffisance. Cette léthargie des mesures susceptibles d’atténuer voire d’éliminer la pauvreté liée à la déficience peut être due à divers facteurs, comme le manque de coordination entre les programmes et prestations du gouvernement, la disparité des critères d’admissibilité aux programmes/prestations, les divergences de définitions de la déficience, le moment de la survenance de la déficience – liée ou non à l’emploi -, et la prévalence des comportements et obstacles discriminatoires. Ces facteurs sont de plus aggravés par des idéaux de gouvernance politique et la volonté du gouvernement de prioriser l’équité sociale.

Les lois de droits de la personne ne peuvent, seules, résoudre les iniquités émanant de la pauvreté liée à la déficience. Mais ces lois offrent des possibilités d’identifier les problèmes et de rechercher des solutions dans les cas où la discrimination contribue à la persistance de la pauvreté liée à la déficience. Fait intéressant, plusieurs obligations de droits de l’homme, ratifiées par le Canada portent directement sur la pauvreté. Malgré ces engagements, aucune démarche axée sur les droits de la personne n’est intégrée dans les stratégies provinciales actuelles de réduction de la pauvreté. En fait, ces stratégies ne font même pas référence aux droits de la personne.[65]

Dans la section suivante, nous dégagerons de nouvelles voies pour bonifier l’image de la performance de l’analyse et des stratégies de droits de la personne en tant qu’importants outils d’allègement de la pauvreté. Il s’agit d’un point de départ et non d’une analyse en profondeur.

2.3 La pauvreté, un enjeu de droits de la personne : injection d’obligations au titre de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

La jurisprudence sur les droits de la personne, incluant la discrimination pour motif de déficience et l’obligation d’accommodement confirme nettement le besoin d’actions positives pour supprimer et éliminer les obstacles. Tel que susmentionné, les cours de justice ont forcé les défendeurs (souvent des gouvernements) à prendre des mesures dynamiques, incluant des espaces pour les fauteuils roulants dans les salles de cinéma, de l’interprétation gestuelle dans les centres de soins de santé, l’accès garanti aux transports ferroviaires, la conception de sites Web compatibles avec les lecteurs d’écran, des procédures d’évaluation/tests individuels et du soutien orthopédagogique pour les élèves ayant des troubles d’apprentissage. Ces causes confirment le principe des droits à l’égalité dégagé dans la cause Andrews – relevant des dispositions de la Charte -, à savoir que « l’accommodement de la différence…est l’essence même de la véritable égalité…. »[66]

L’action positive pourrait être davantage consolidée par la récente ratification canadienne de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.[67] Tels que stipulé par Brodsky et al., les causes Meiorin et Grismer reflètent l’objectif de la CDPH – à savoir que « l’accommodement, correctement saisi, engendre une véritable inclusion. »[68]

Le concept d’action positive est un thème fondamental de la CDPH. Il est intéressant de noter que l’accommodement raisonnable peut être identifié comme pilier de concrétisation des droits de la personne et des droits à l’égalité des personnes handicapées.[69] Tel que prévu par la CDPH, l’accommodement raisonnable conjugue la reconnaissance des droits et les obligations qui en découlent. L’article 5.3 stipule « Afin de promouvoir l’égalité et d’éliminer la discrimination, les États Parties prennent toutes les mesures appropriées pour faire en sorte que des aménagements raisonnables soient apportés. »

Bien que les lois canadiennes sur les droits de la personne favorisent une vaste et holistique approche vis-à-vis des droits, la CDPH impose plusieurs étapes précises que les États parties doivent entreprendre pour assurer la pleine jouissance des droits, Ainsi, à l’article 28, les États parties doivent assurer un niveau de vie adéquat et une protection sociale aux personnes handicapées. Cette exigence ambitieuse et complète inclut le droit à une alimentation, un habillement et un logement adéquats. On pourra en déduire que l’article 28 reconnaît que les personnes handicapées ont des droits sociaux et économiques et, par conséquent, établit les étapes à suivre pour les concrétiser.

Au Canada, les instruments internationaux de droits de la personne, comme la CDPH, sont en général considérés comme de persuasifs outils d’interprétation.[70] Il est donc raisonnable d’assumer que le rôle de la CDPH est un rôle crucial pour l’interprétation non seulement des lois sur les droits de la personne mais encore du concept d’action positive comme mécanisme d’élimination des obstacles discriminatoires pour les personnes handicapées. De concert avec les avancées réalisées en vertu des lois sur les droits de la personne, la CDPH soulève la possibilité d’instaurer une base juridique pour analyser la pauvreté liée à la déficience comme un enjeu de droits de la personne. Cette suggestion est renforcée par les exigences prévues à l’article 28.

2.4 De nouvelles voies de revendication

a) Stratégies de réduction de la pauvreté

Au moins cinq provinces ont mis sur pied des stratégies de réduction de la pauvreté.[71] En général, ces stratégies prévoient des initiatives pour améliorer l’accès au logement, à l’éducation, à l’emploi et à l’inclusion sociale. Étant donné la forte incidence de la pauvreté chez les personnes handicapées, ces stratégies sont particulièrement importantes et devraient donc être rigoureusement évaluées afin de préciser leur efficacité en matière d’élimination des obstacles. Est-ce que, par exemple, ces stratégies comprennent, reconnaissent et respectent totalement le principe d’accommodement des personnes handicapées, basé sur les droits de la personne?

Dans un rapport sur les actuelles stratégies d’allègement de la pauvreté, préparé pour le projet des Alliances de recherche communautés-universités, Pamela Brown souligne que « malgré le nombre croissant de prestations d’aide sociale instaurées pour la population, l’admissibilité à ces prestations dépend souvent de l’emploi. »[72] Cette exigence peut perpétuer le cycle des désavantages subis par les personnes handicapées car, tel que susmentionné, ces personnes continuent à endurer un chômage chronique et une aliénation du milieu du travail. Mme Brown observe en plus que si les obstacles à l’emploi auxquels sont confrontées les personnes handicapés sont bien documentés, ceux aux programmes d’emploi ne le sont pas.[73]

Les stratégies de réduction de la pauvreté tendent à s’articuler fondamentalement autour de l’accès à l’emploi et de l’autosuffisance. Ainsi, un ministre manitobain a même déclaré « le meilleur moyen de sortir de la pauvreté est d’avoir un emploi décent. »[74] Tout en étant louable, cette déclaration ne dessert pas toutes les personnes handicapées. Tout d’abord, si l’accès à l’emploi est un objectif très important et essentiel pour les personnes en situation de handicap, les causes du chômage sont complexes, exacerbées par des obstacles discriminatoires inflexibles et profondément enracinés. Il est donc difficile d’imaginer comment les actuelles stratégies de réduction de la pauvreté possèderont les ressources nécessaires pour ébranler cette sempiternelle conjoncture. Deuxièmement, puisque les programmes de soutien à l’emploi sont de plus en plus axés sur les résultats, il est possible que certaines personnes handicapées soient découragées par des agents chargés des cas qui les jugent vraisemblablement inemployables.[75]

Pour répondre et accommoder réellement les doubles besoins des personnes handicapées, les stratégies de réduction de la pauvreté pourraient être à la fois axées sur l’obtention d’emploi et sur l’octroi de soutiens et de prestations assurant un niveau de vie adéquat. Si l’emploi demeure le principal objectif, les accommodements peuvent avoir la forme de programmes d’emploi spécialement adaptés, incluant des soutiens et des prestations pour compenser les besoins uniques et les dépenses liées à certaines limitations fonctionnelles.

Tel qu’indiqué au préalable, la jurisprudence semble être à l’aise avec l’application de l’analyse droits de la personne aux obstacles à l’emploi et aux questions d’accès aux services. Les stratégies de réduction de la pauvreté et les programmes économiques et sociaux afférents devraient aussi être également évalués selon cette optique. De concert avec la CDPH, les causes comme Eldridge, VIA Rail et Moore nous donnent les arguments juridiques pour démontrer que les programmes gouvernementaux doivent dynamiquement s’attaquer aux causes de la pauvreté chez les personnes handicapées et instaurer des mesures spécifiques requises pour améliorer leur condition de vie.

b) Le désavantage social : un motif de distinction illicite

Certains gouvernements se sont nettement efforcés de reconnaître les droits humains des personnes pauvres. Le Québec, le Nouveau-Brunswick, les Territoires du Nord-Ouest et plus récemment le Manitoba ont tous ajouté le motif de « désavantage social » ou « situation sociale » à leurs lois sur les droits de la personne.[76] Ce geste peut être interprété comme un signe de reconnaissance gouvernementale du besoin de protéger davantage les personnes pauvres de toute discrimination. Ainsi, le Code des droits de la personne du Manitoba définit le « désavantage social » comme « la situation d'une personne dont la position ou la valeur sociale est amoindrie pour le motif a) qu'elle est sans logement ou habite un logement inadéquat; b) qu'elle est peu scolarisée; c) que ses revenus sont toujours faibles; d) qu'elle est chroniquement en chômage ou sous-employée.[77]

C’est un motif relativement nouveau dans le domaine des droits de la personne. Contrairement aux autres causes de discrimination, les gouvernements comme le Manitoba ont imposé quelques déterminants à ce principe, en déclarant que la discrimination fondée sur un désavantage social doit être basée sur un préjugé défavorable ou un stéréotype ayant trait audit désavantage.[78] Mais reconnaître le désavantage social comme motif en vertu des lois sur les droits de la personne, implique désormais que les gouvernements doivent évaluer l’impact des programmes et plans d’action sur les droits des personnes socialement défavorisées. Et même lorsque des gouvernements comme le Manitoba ont cherché à en limiter l’interprétation, le désavantage social peut devenir un important et puissant levier de droits humains pour les personnes pauvres. Et c’est particulièrement vrai pour les personnes handicapées.

Combiner le motif de désavantage social à celui de la déficience peut maximiser les possibilités pour rendre le gouvernement responsable des obstacles et du manque de mesures de soutien perpétuant le cycle de la pauvreté des personnes handicapées. Tel que susmentionné, il existe une considérable preuve scientifique en matière sociale, documentant les désavantages sociaux subis par les personnes en situation de handicap. Par conséquent, l’omission gouvernementale de corriger ces désavantages peut être tenue comme une violation des lois sur les droits de la personne.

c) Droits de la personne et instances/tribunaux administratifs

Les commissions de droits de la personne ne sont plus les seuls organes capables de traiter les questions de droits de la personne. En 2006, dans son jugement de la cause Tranchemontagne, la CSC a affirmé que les tribunaux administratifs avaient compétence pour examiner des questions soulevant des préoccupations de droits de la personne.[79] Cette plainte visait à contester le versement, aux personnes ayant des troubles de toxicologie, de prestations sociales inférieures à celles versées aux autres bénéficiaires handicapés. La Cour a reconnu que le Code sur les droits de la personne avait primauté sur tous les autres textes législatifs, sous réserve d’avis contraire.[80] Cette primauté implique que toutes les instances et tous les tribunaux doivent examiner les questions de droits de la personne pouvant survenir lors de l’interprétation des lois.[81]

Suite au jugement Tranchemontagne, les instances et tribunaux administratifs traitant des questions touchant particulièrement les personnes pauvres, comme l’accès au logement, à l’éducation et à la formation, aux avantages sociaux et aux soins de santé, sont désormais obligés d’examiner les répercussions en matière de droits de la personne. La cause Tranchemontagne ouvre une autre voie juridique pour contester les programmes/services et les prestations des gouvernements qui omettent d’accommoder les besoins particuliers.

Conclusion

Au Canada, vivre avec une déficience implique fort probablement une vie de pauvreté.[82] Et en même temps, vivre dans la pauvreté augmente l’incidence de la déficience.[83] « C’est un cercle vicieux, qui doit être brisé »,[84] a déclaré le CCD. Selon Sarah Lugtig « Au Canada, les cours de justice ont eu tendance à déclarer que les droits de la personne n’avaient aucun rôle à jouer dans l’atténuation de la pauvreté et que cette dernière n’était pas un enjeu de droits de la personne. »[85] Mais elle demeure optimiste, croit que la porte n’est pas tout à fait fermée et que l’on peut encore agir encore pour mieux faire connaître la pauvreté comme un enjeu de droits de la personne.[86]

Dans ce document, nous avons démontré que les personnes handicapées avaient fait d’importants gains juridiques dans le domaine des droits de la personne. Comme le révèlent les causes décrites plus avant, une action positive sous forme d’accommodements est souvent le recours prescrit pour éliminer la discrimination liée à la déficience. La ratification de la CDPH permet de mieux appréhender les mesures positives, ou accommodements, requises pour éliminer les obstacles et concrétiser l’égalité des personnes en situation de handicap.

Ne nous laissons pas décourager par l’actuel mode de pensée limité des cours de justice. Suivons le conseil de Sarah Lugtig et profitons des outils juridiques que nous avons créés ainsi que des possibilités qui pourront nous aider à instaurer la pauvreté liée à la déficience comme un important enjeu de droits de la personne, exigeant attention et solutions.

  • [*] Yvonne Peters est présidente de la Commission des droits de la personne du Manitoba. Elle exerce à Winnipeg dans le domaine des droits à l’égalité, offre des conseils et des consultations juridiques aux syndicats, aux groupes communautaires, aux organisations de droits de la personne, aux entreprises et aux gouvernements. Debra Parkes est Doyenne associée (Recherche et cycles supérieurs) de la faculté de droit de l’université du Manitoba. Les auteures remercient le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) et le Conseil des Canadiens avec déficiences de leur soutien dans cette recherche. Elles remercient également les membres de l’équipe des Alliances de recherche universités-communautés du CRSH de leurs contributions et commentaires. Joëlle Pastora Sala, Sara Minshull, Nathan Irving, Althea Wheeler et Zilla Maria Jonesde leur aide inestimable lors des diverses étapes de la recherche dans le cadre de ce projet.
  • [1] “Célébrons nos realisations”, publié par le Conseil des Canadiens avec déficiences, novembre 2011. En ligne : http://www.ccdonline.ca/fr/socialpolicy/poverty-citizenship/income-security-reform/celebrating-our-accomplishments
  • [2] Gosselin c. Québec (Procureur général) (2002) CSC 84 et plus récemment Tanudjaja c. Procureur général (Canada) CSON 5410, qui a appliqué la cause Gosselin.
  • [3] Michael J. Prince (co-chargé de recherche principal du projet CCD/ARUC Pauvreté invalidante et Citoyenneté habilitante, 2008-2014), « Pauvreté invalidante et Citoyenneté habilitante : Recommandations pour des changements positifs » (à paraître).
  • [4] Joëlle Pastora Sala, « La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) : Comment l’utiliser dans les litiges au Canada, » rapport préparé pour le CCD, en ligne http://www.ccdonline.ca/en/socialpolicy/poverty-citizenship/legal-protections/crpd-in-canadian-litigation
  • [5] Brodsky, Gwen, Sheilagh Day et Yvonne Peters « Les accommodements au 21ème siècle », Commission canadienne des droits de la personne, mars 2012, en ligne : http://www.chrc-ccdp.gc.ca/sites/default/files/accommodation_fra.pdf
  • [6] Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, soit l’Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (UK), 1982, c.11
  • [7] Yvonne Peters, “From Charity to Equality: Canadians with Disabilities take their Rightful Place in Canada’s Constitution,” dans le document de Deborah Stienstra and Aileen Wight-Felske, Making Equality: History of Advocacy and Persons with Disabilities in Canada (Concord, ON: Captus Press, 2003)
  • [8] Dans Eaton c. Le Conseil scolaire du comté de Brant (1997), R.C.S. 241, le juge Sopinka affirme que ces obstacles « l’empêchent de jouir des avantages de la société » (para. 67)
  • [9] Se référer généralement à Lisa Vanhala, Making Rights a Reality? Disability Rights Activists and Legal Mobilization (New York: Cambridge University Press, 2011), chapitres. 1 and 2
  • [10] Andrews c. Law Society of British Columbia (1989) 1 S.R.C. 143
  • [11] Idem aux paras. 111 et 112
  • [12] Canadian Odeon Theatres Ltd c. Huck (No.2) (1981) 2 C.H.H.R D/521 (Sask.Bd. Inq.)
  • [13] Saskatchewan Human Rights Commission and Huck v. Canadian Odeon Theatres Ltd. (1985), 18 D.L.R. (4th) 93 (Sask. C.A.), Autorisation de pourvoi refusée
  • [14] Idem
  • [15] Eldridge c. Colombie britannique (Procureur général) (1997), 3 R.C.S. 624.
  • [16] Idem, para. 80
  • [17] Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Inc., (2007) 1 R.C.S. 650
  • [18] Id., para. 296
  • [19] Id., para. 175
  • [20] Id., para. 183
  • [21] Canada (Procureur général) c. Jodhan, 2012 CAF 161
  • [22] Id., para. 131
  • [23] Id., para. 152
  • [24] Moore c. Colombie britannique (Éducation) (2012) CSC 61
  • [25] Moore c. B.C. (Ministère de l’Éducation) et le District scolaire no. 44, 2005 TDPCB 580
  • [26] Auton (Tutrice l’instance de) c. Colombie britannique (Procureur général), [2004] 3 R.C.S. 657.
  • [27] Id., paras. 55 et 56.
  • [28] Mémoire de l’intervenant (Conseil des Canadiens avec déficiences) dans la cause Moore, Cour suprême du Canada, 5 mars 2012. {11013-001/00264995.2},en ligne: http://www.ccdonline.ca/media/humanrights/factum-of-the-intervener-ccd-00268315.pdf.
  • [29] Id., para. 24
  • [30] Référence 24 précitée, par. 31
  • [31] Id., para. 28
  • [32] Id., para. 5
  • [33] Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU (1999) 3 R.C.S. 3, par. 68
  • [34] Id.
  • [35] Id.
  • [36] Id., paras. 40 et 41
  • [37] Id., para. 41
  • [38] Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights) (1999), 3 R.C.S. 868 (communément référée: la cause Grismer)
  • [39] Id., para. 42
  • [40] Id., para. 44
  • [41] Id.
  • [42] Approach” (2010), 4:1 M.J.L.H. 17, pages 22 et 27.
  • [43] Bruce porter, « Expectations of Equality, » (2006) 33 Supreme Court Law Review (2nd) 23.
  • [44] L’article 15 de la Charte stipule que : 1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques. » (2) Le paragraphe (1) n’a pas pour effet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques. »
  • [45] Id.
  • [46] Id. au para. 27
  • [47] Andrews, Id.
  • [48] Voir par exemple Auton (Tutrice l’instance de) c. Colombie britannique (Procureur général), [2004] 3 R.C.S. . 657 (financement de soins de santé pour un traitement de l’autisme), Gosselin c. Québec (Procureur général) (2002), 4 R.C .S. 429 (taux d’aide sociale inadéquats) et Hodhe c. Canada (Ministère des Ressources humaines, Développement des compétences) (2004) 3 R.C.S (prestation au survivant pour les conjoints de droit commun)
  • [49] Voir la référence 15 précitée
  • [50] Id., aux paras. 72 et 73
  • [51] Vriend c. Alberta (1998), 1 R.C.S. 493
  • [52] Services) (2002), 212 D.L.R. (4th) 633 (Ont. C.A.) (reconnaissant la discrimination pour motif d’encaissement d’aide sociale).
  • [53] L.R.Q, chapitre L-7
  • [54] Se référer par exemple au Rapport annuel 2013 de la Commission canadienne des droits de la personne, démontrant que plus de 55% du nombre total de plaintes reçues étaient des plaints pour motif de déficience. Tous les autres motifs (le sexe, l’origine nationale ou ethnique, la race, la situation familiale, l’âge, la couleur, la religion, l’état matrimonial et la condamnation ayant fait l’objet d’une réhabilitation ou de la suspension du casier criminel) totalisaient 45%. En ligne à l’adresse http://www.chrc-ccdp.gc.ca/sites/default/files/pdf/ccdp-rapport-annuel-2013.pdf
  • [55] Cameron Crawford « La pauvreté dans tous ses états : Sources de revenu pour les personnes handicapées pauvres » Institut for Research and Development on Inclusion and Society, 2013, en ligne http://www.ccdonline.ca/media/socialpolicy/Income%20Sources%20Report%20IRIS%20CCD.pdf.
  • [56] Politique sociale « Essayer de passer la barre : Éducation, Formation liée à l’emploi » Site Web du Conseil des Canadiens avec déficiences. Produit par le Conseil des Canadiens avec déficiences dans le cadre du projet Pauvreté invalidante, Citoyenneté habilitante, financé par l’Alliance de recherche universités-communautés (ARUC) du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH)
  • [57] Id.
  • [58] Politique sociale « Les personnes handicapées et les ménages à faible revenue: Sources de revenue, emploi et discrimination dans l’emploi” Conseil des Canadiens avec déficiences. En ligne http://www.ccdonline.ca/fr/socialpolicy/poverty-citizenship/demographic-profile/low-household-income-and-disability Produit par le Conseil des Canadiens avec déficiences dans le cadre du projet Pauvreté invalidante, Citoyenneté habilitante, financé par l’Alliance de recherche universités-communautés (ARUC) du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada(CRSH).
  • [59] Id.
  • [60] Politique sociale « Une question de logement : la pauvreté, la déficience, le logement et l’aide aux activités quotidiennes ». Site Web du Conseil des Canadiens avec déficiences. http://www.ccdonline.ca/fr/socialpolicy/poverty-citizenship/demographic-profile/on-the-home-front. Produit par le Conseil des Canadiens avec déficiences dans le cadre du projet Pauvreté invalidante, Citoyenneté habilitante, financé par l’Alliance de recherche universités-communautés (ARUC) du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada(CRSH).
  • [61] Politique sociale – John Stapleton et Anne Tweddle « Qu’arrive-t-il aux programmes de soutien du revenu pour les personnes handicapées? » Site Web du Conseil des Canadiens avec déficiences. En ligne http://www.ccdonline.ca/fr/socialpolicy/poverty-citizenship/income-security-reform/disability-income-systems.
  • [62] Référence 58 précitée
  • [63] Référence 2 précitée
  • [64] Politique sociale – Pauvreté, Site Web du Conseil des Canadiens avec déficiences; en ligne http://www.ccdonline.ca/fr/socialpolicy/poverty
  • [65] Vincent Greason, “Poverty as a Human Rights Violation.” (16 juin, 2013). Tiré du site Web du Social Science Research Network at http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2279838. V. Greason note que le gouvernement du Québec mentionne « à contre-cœur », les obligations de droits de la personne mais n’incorpore aucune analyse axée sur les droits de la personne dans sa stratégie.
  • [66] Andrews c. Law Society of British Columbia (1989), 1 R.C.S 143, juge McIntyre
  • [67] Convention relative aux droits des personnes handicapées, en ligne : http://www.un.org/french/disabilities/default.asp?id=1413
  • [68] Référence 5 précitée
  • [69] Anna Lawson, “The UN Convention on the Rights of Persons with Disabilities and European Disability Law: A Catalyst for Cohesion?” In Arnardottir, O. and Quinn, G. (eds) The United Nations Convention on the Rights of Persons with Disabilities: European and Scandinavian Perspectives (Leiden: Martinus Nijhoff, 2009) à 320. Cité par Joëlle Pastora Sala, (août 2012) Canadian Legal Literature Addressing the Positive Rights Dimension of the CRPD.
  • [70] Référence 4 précitée.
  • [71] Référence 65 précitée.
  • [72] Préparé par Pamela Brown pour Michael Prince, co-chercheur, Conseil des Canadiens avec déficiences- Alliances de recherche communautés-universités : “Disability lens evaluation of four provincial poverty reduction strategies: Manitoba, New Brunswick, Newfoundland and Labrador, and Nova Scotia.” (2011). Online: http://www.ccdonline.ca/media/socialpolicy/PRS-Disability-Report-Final-Draft.pdf
  • [73] Id.
  • [74] Id., para. 58
  • [75] Id.
  • [76] Sarah Lugtig, “Human Rights Responses to Poverty: The Road Ahead is at Our Feet.” Présentations lors des ISAAC PITBLADO LECTURES: Human Rights Challenges & Achievements, Winnipeg, Manitoba, novembre 2013
  • [77] C.P.L.M. c. H 175 - Définitions
  • [78] Id., clause 9(2.1)
  • [79] Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées) (2006), 1 R.C.S. 513
  • [80] Id., para. 31 à 39
  • [81] Id.
  • [82] Conseil des Canadiens avec déficiences (CCD). Mémoire soumis au Comité permanent des Finances, 5 avril 2013. Ce document a été produit dans le cadre du projet Pauvreté invalidante/Citoyenneté habilitante du CCD, financé par le programme de Alliances de recherche communautés-universités (ARUC) financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH); en ligne : http://www.ccdonline.ca/en/socialpolicy/employment/Finance-Committee-5April2013
  • [83] Id.
  • [84] Id.
  • [85] Référence 76 précitée
  • [86] Id.